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Vers une remise en cause des prix sur le marché de l’oncologie ?

Jusqu’ici, la polémique sur les prix des médicaments a trait à des indications assez spécifiques (l’hépatite C pour le Sovaldi de Gilead) voire extrêmement restreintes (une affection parasitaire opportuniste affectant surtout des patients immuno-déprimés, dans le cas désormais mondialement célèbre du Daraprim chez Turing Pharmaceuticals). Mais le plus important des marchés de l’industrie pharmaceutique, celui des traitements du cancer, n’échappe pas à une remise en cause du rapport efficacité/prix.

Une enquête détaillée de Deena Beasley de l’agence Reuters publiée jeudi révèle qu’aux USA, les praticiens peuvent renoncer à prescrire des traitements peu efficaces, et ce même en dernier ressort c’est-à-dire après échec de tous les autres traitements. « Par le passé, les implications en termes de coût des soins apportés n’étaient pas sur notre radar… Aujourd’hui nous sommes bien plus sensibilisés à cette question », résume le Prof. Neal Meropol, responsable de la division hématologie-oncologie à l’UH Case Medical Center de Cleveland.

Aux dires de différents spécialistes interrogés par Reuters, au moins une demi-douzaine de traitements -dont Cyrama de Lilly et Stivarga de Bayer- ne valent pas leurs prix qui peuvent dépasser 100.000 dollars à l’année. Si les oncologues en viennent à prendre en compte le prix des médicaments dans la lutte contre le cancer, cela pourrait entamer l’activité de géants du secteur comme Roche ou Celgene, estime notre consoeur.

Rappelons que les traitements du cancer représentent le plus gros segment du marché mondial de la pharmacie : 100 milliards de dollars en 2014, selon IMS Health.

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Evolution des dépenses mondiales en oncologie, par région (IMS Health)

Ce durcissement de l’attitude des cliniciens découle d’une double prise de conscience : d’une part, des limites de l’acharnement thérapeutique vis-à-vis du patient (« tout tenter » pour prolonger ses jours au risque de rendre ces derniers encore plus douloureux) et, d’autre part, de la difficulté croissante de la collectivité à assumer le coût des soins.

Un coût parfois trop lourd, pour le patients comme pour la collectivité

Vis-à-vis du patient -et sans même aller jusqu’à poser la question de l’euthanasie- l’acharnement est pointé du doigt. En France, la loi (L1110-5 CSP) pose que les actes thérapeutiques « ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris ». D’une certaine façon ce texte désapprouve l’acharnement thérapeutique sans véritablement le réprimer, laissant au praticien la responsabilité de cesser les traitements. Selon le rapport La mort à l’hôpital de l’Inspection générale des affaires sociales, « des thérapeutiques agressives et des gestes diagnostics invasifs sont encore trop souvent entrepris alors qu’on a perdu l’espoir d’une amélioration clinique ». « Au nom de sa survie, la personne ne peut plus vivre chez elle, près de ses proches, choisir ce qu'elle mange, ce qu'elle boit, à quelle heure, elle perd son intimité. Et ce pour subir des traitements aux conséquences souvent très douloureuses (nausées, dégradation physique, souffrance). […]. Entre survivre 6 mois à l'hôpital, bardé de tuyaux en chimiothérapie, et survivre 2 mois chez soi sans traitement, les gens n'ont souvent pas le choix : celui-ci ne leur est jamais présenté tant la priorité à la survie est inhérente au fonctionnement du système de santé », déplore l’économiste Alexandre Delaigue. Cependant les mentalités évoluent progressivement sur ce point.

Par ailleurs, le coût de la fin de vie représente un fardeau de plus en plus lourd. Les dépenses occasionnées dans la dernière année de vie pèsent de façon disproportionnée : chez les personnes décédées entre 65 à 74 ans, la dernière année de vie coûte six fois plus que ce que dépense annuellement le régime général pour les autres personnes.

Cette conjonction de facteurs pousse les praticiens à réfléchir de plus en plus avant de prescrire un traitement lourd aux effets secondaires non négligeables lorsqu'il n'y a plus d'espoir.

Interrogé par Reuters, le Dr Peter Bach, directeur du Memorial Sloan Kettering's Center for Health Policy and Outcomes, résume : « Il existe des medicaments qui n’ont pas tellement de sens étant donné leur prix et leur faible apport ... des médicaments qui peuvent coûter jusqu’à 10.000 dollars par mois et dont la médiane de survie supplémentaire est de quelques semaines ou moins d’un moins, avec une toxicité significative ».

D’évidence, la place pour de tels traitements sera de plus en plus limitée à l’avenir. Et au-delà, la pression sur les prix ne pourra qu’aller croissant. Pour autant, une complète remise en cause du pricing power est peu probable. Même si Hillary Clinton, pour l’instant candidate à l’investiture, qui pourfend les hausses de prix injustifiées des médicaments, était investie et élue, il faudrait de longues discussions avant que le Congrès n’adopte une loi vaguement plus contraignante.

La remise en question des niveaux de prix est, parmi d'autres, un élément sur lequel il faut compter dans l’écosystème du marché de l’oncologie. Mais la prise de conscience des entreprises du médicament ne date pas d'hier. Dans un entretien à Boursier.com, Philippe Archinard, la patron de Transgene, reconnaissait déjà en 2007 « une problématique d'économie de la santé ». « Les coûts ne pourront progresser de façon exponentielle... Il y a un équilibre à trouver au regard du bénéfice pour le patient et de l'efficacité des thérapies La problématique du prix sera certainement plus tendue à l'avenir dans la mesure où il faudra justifier un bénéfice clinique important ».

Pour autant, les innovations thérapeutiques apportant un réel bénéfice trouveront toujours leur place face à des pathologies aussi graves que le cancer. En outre, la mortalité demeure malheureusement si importante qu'il y a encore une marge considérable pour de nouveaux médicaments.

Le développement des thérapies ciblées en particulier de l’immuno-oncologie correspond d’ailleurs à cette mutation du marché qui fera des perdants mais également des gagnants.

Une évolution qui créée aussi de nouvelles opportunités

Selon BiotechBourse, le marché de l'oncologie restera un moteur pour l'industrie de la santé et des biotechnologies. De nombreuses opportunités sont à rechercher :

  • parmi les sociétés d'innovation notamment dans l'immuno-thérapie, et ultérieurement dans des domaines émergents comme le macrobiome ;
  • parmi les sociétés qui parviennent à se différencier fortement par les prix (producteurs de bio-similaires notamment) ;
  • du côté du diagnostic et de l'imagerie, en particulier chez les sociétés dont les solutions permettent de prévenir et d'intervenir le plus en amont possible sur les cancers in fine à moindre coût pour la société ;
  • chez certains acteurs de niche apportant des solutions plus économiques à différents stades de la chaîne de valeur ; on peut citer un business model tel que celui d'Univercells qui revisite totalement le processus de bioproduction, diminuant drastiquement les investissements nécessaire à la mise en place de nouvelles lignes de production ce qui permet de diminuer les prix.

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